J'ai découvert tardivement dans mes mails, en tous cas après avoir posté ce commentaire, un mail d'un blogueur me menaçant de poursuivre TouraineBlogs en diffamation "si aucun démenti/correction n'est apporté(e)" à un commentaire qu'il juge diffamant. (1)

"Sympa ! Bonne ambiance au sein de cette joyeuse communauté de blogueurs tourangeaux" me suis-je d'abord dit.

Avant de me poser la question que tout blogueur responsable doit se poser en pareil cas : que faire ? Et si j'ai décidé d'évoquer publiquement cette menace et l'état de ma réflexion sur la conduite à tenir, c'est justement parce que n'importe quel blogueur peut être confronté à cette délicate situation.

Et donc, que faire ?

Evidemment, je suis comme chacun d'entre vous. Je n'ai pas tellement envie de me retrouver à la barre d'un tribunal. Encore moins pour une affaire de diffamation dont je ne suis pas l'auteur et à laquelle je ne comprends pas grand chose.

Le plus simple serait donc de supprimer le commentaire incriminé.

Mais ce faisant, je transformerai l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, celui-là même qui réprime la diffamation, en formidable machine à censurer. Car il suffirait alors à quiconque, dès qu'un commentaire ne lui convient pas, de me menacer de poursuites pour diffamation, pour que je retire le commentaire. C'en serait alors fini de l'espace de liberté que peuvent constituer les blogs.

C'est justement parce que je crois au nécessaire équilibre entre liberté et responsabilité que je participe depuis l'origine à l'aventure WebCitoyen.com, qui s'est donné mission de défendre la liberté d'expression des blogueurs mais aussi -surtout ?- de leur donner des armes pour lutter contre les nombreuses formes d'intimidations qui tentent de peser sur la liberté d'expression. Et de fait, à l'encontre des blogueurs, les tentatives d'intimidation sont plus nombreuses que les procès.

Evidemment, si le commentaire incriminé était manifestement insultant, diffamatoire ou contraire aux lois encadrant la liberté d'expression, je n'aurais pas hésité à le supprimer, sans même qu'on ait besoin de me le demander, agissant conformément aux règles du jeu définies pour ce blog - il faudra d'ailleurs que je peaufine une charte, sur ce modèle, concernant notamment les trolls, qui semblent être de sortie ces derniers temps...

Mais dans ce cas précis, que faire ?

Je suis d'abord allé sur l'excellent blog de maître Eolas rafraîchir ma mémoire concernant la responsabilité juridique des blogueurs, notamment en ce qui concerne les commentaires. L'avocat éclaire la compréhension de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), en précisant que :
En substance, la LCEN distingue trois types d'intervenants dans la communication en ligne : le fournisseur d'accès internet (FAI), qui est personnel à chaque internaute, l'hébergeur du service (celui qui est propriétaire du disque dur) et l'éditeur du dit service (qui publie, met en forme, gère le site). Alors que le FAI et l'hébergeur sont en principe irresponsables du contenu d'un site (il y a des exceptions, mais c'est hors sujet dans le cadre de ce billet), c'est l'éditeur qui assume cette responsabilité.
Je suis bien "éditeur" et donc responsable des articles que je publie. Mais suis-je également "éditeur" des commentaires qui ne sont pas modérés a priori ?

Maître Eolas me renvoie à son confrère Eric Barbry qui précise que :
Ceci étant précisé un blogger peut-il valablement être considéré comme hébergeur des contenus de ses invités ? La réponse est sans doute "oui mais" ou "non mais pourquoi pas". A défaut de jurisprudence et au stade de cette première réflexion le statut d'hébergeur ne peut pas être écarté mais il ne pourrait être appliqué qu'à la condition que le blogger, en cette qualité, assume et respecte l'ensemble des obligations qui sont celles des hébergeurs à savoir : détenir et conserver "les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu", supprimer promptement les contenus illicites, réagir aux notifications ou encore de mettre en œuvre des moyens de lutter contre la diffusion de contenus pédo-pornographiques ou contraire à l'article 24 de la loi de 1881.
Oups. Au passage, je remercie le législateur pour l'extrême clarté de la situation dans laquelle il me place !
Notamment en me demandant de juger seul du caractère éventuellement "illicite" des contenus postés par les commentateurs...
Si le blogueur est responsable des invectives que s'échangent les commentateurs du blog, faut-il aussi que le patron de bar soit responsable des insultes échangées dans son établissement ?

En refusant de supprimer un commentaire, je prends en tous cas le risque d'être poursuivi. Sachant de surcroît que je ne pourrais pas, le cas échéant, compter sur la clémence d'un tribunal qui considérera sans doute qu'un blogueur-journaliste, n'ignorant pas les règles régissant la diffamation, est plus responsable qu'un blogueur amateur.

Mais alors que faire ?
  • Dans ce cas d'espèce, je vois pas où seraient réunies les conditions de la diffamation. (2)
  • Il me semblerait dangereux pour la liberté d'expression d'admettre qu'un simple mail, me menaçant de poursuites, suffise à me transformer en censeur.
  • J'invite ici publiquement les protagonistes à chercher un terrain d'entente amiable. Au pire, si c'est impossible, je les invite à aller s'invectiver sur leurs blogs respectifs afin que je ne sois plus mêlé à leurs débats ;-) Ou à s'intenter des procès sans se croire obligés de m'y convier...
  • S'ils épuisent les voies de recours amiables sans parvenir à s'entendre, j'envisagerai de réviser ma position concernant l'éventuelle suppression du commentaire incriminé.
  • J'invite les blogueurs tourangeaux à faire des provisions d'oranges -c'est la saison- pour le cas où je finirais derrière les barreaux. ;-)
  • Est-ce que tout ça ne va pas un peu loin ?

(1) Accessoirement, j'aurais compris que l'on me demande de supprimer ce commentaire. Je comprends moins que la menace qui m'est adressée soit conditionnée au fait que soit publié un "démenti/correction". Je ne peux évidemment pas démentir ni corriger un commentaire auquel je suis totalement étranger.

(2) [Mise à jour à 14h29 pour éviter toute ambiguïté] N'étant ni juge ni censeur, je me refuse absolument à prendre partie sur le fond. Je ne suis même pas certain que cette affaire m'intéresse. Dire que je ne crois pas qu'il y ait diffamation ne signifie donc pas que je prête crédit à des accusations dont je n'ai pas la preuve. Je crois seulement que c'est sur la forme qu'il n'y a pas diffamation. A mon humble avis, écrire "Monsieur X a magouillé pour faire verser a Monsieur Y des primes auxquelles il n'a pas droit" constitue une diffamation (si tant est que ce soit faux). Mais écrire "On s'arrange entre copains pour des petits bonus en fin de mois..." ne constitue pas, à mon sens, une diffamation.




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