C'est samedi soir, juste avant que le soleil ne se couche, que je suis allé prendre une photo du commissariat de quartier du Sanitas. Mais à peine étais-je arrivé sur les lieux, qu'une fourgonnette de police s'est arrêtée à ma hauteur et que quatre policiers sont venus vers moi.

C'est bien la preuve, s'il en fallait une, que ce quartier ne ressemble pas au Bronx et que la police y est présente et y effectue son travail avec zèle.

Aux policiers qui m'ont demandé ce que je faisais là, j'ai expliqué poliment que je m'apprêtais à prendre une photo du commissariat. Ces représentants de la loi m'ont alors demandé mes papiers. Et j'ai choisi ce qui me semblait être la solution de facilité : j'ai sorti ma carte de presse, persuadé qu'il me serait plus simple de pouvoir prendre tranquillement ma photo.

Hélas ! La vue de ma carte de presse n'a visiblement pas suffi aux policiers. Celui que les autres appellaient "le gradé", s'est saisi de ma carte et est entré dans le commissariat pour "procéder à des vérifications". J'étais très heureux de constater le zèle avec lequel ce fonctionnaire accomplissait son travail et j'ai proposé aux trois autres de me laisser librement continuer le mien. Mais les trois hommes en bleu ne l'entendaient pas ainsi : "Tant que "le gradé" n'est pas revenu, on ne peut pas vous laisser prendre de photo", m'ont-ils expliqué.

J'ai tenté de leur rappeler que les forces de police sont les garantes des libertés du peuple français, dont la liberté de la presse. Je leur ai rappelé que nous n'étions pas en Birmanie et que, jusqu'à preuve du contraire, les journalistes étaient en droit de prendre librement des photos. "Vous savez, la loi ça change tout le temps alors nous, on préfère vérifier".

Certes. J'ai dû admettre avec eux que la loi changeait souvent. J'ai quand même essayé de leur expliquer que les nombreux changements législatifs affectaient rarement les principes fondamentaux de notre République, et notamment la liberté de la presse. Mais mon argumentation n'a pas eu de succès. Je n'ai pas osé leur rappeler que "nul n'est censé ignorer la loi". Ils portaient à la ceinture des arguments bien plus percutants que les miens et, si je suis courageux, je ne suis cependant pas téméraire.

Lorsque "le gradé" est revenu, j'ai cru voir venir le moment de ma libération. Bah non. "Vous avez une autorisation pour prendre des photos ?" m'a-t-il demandé. Et j'ai bien senti qu'il n'a pas du tout apprécié que je lui explique qu'il n'y avait qu'en Birmanie que les journalistes devaient demander une autorisation. A son regard répprobateur, j'ai compris que "le gradé", lui, devait savoir où se trouve la Birmanie et quels événements tragiques s'y déroulent...

Il est donc reparti téléphoner au commissariat central. Avant de me rendre gentiment ma carte de presse en me présentant ses excuses et en me souhaitant une bonne continuation. Il faut croire qu'au téléphone, un gradé plus gradé que lui lui avait confirmé que les lois garantissant la liberté de la presse n'avaient pas été récemment abolies...

Au total, j'ai été empêché de prendre ma photo pendant un quart d'heure. Rien de très grave. Sauf que les derniers rayons du soleil n'éclairaient plus la façade du commissariat !

Surtout, je ne peux m'empêcher de me demander ce qui se serait passé si, au lieu de sortir ma carte de presse, j'avais présenté une pièce d'identité. (Et, pourquoi ne pas l'écrire, je me suis également demandé ce qui se serait passé si je n'étais ni journaliste, ni blanc).

N'importe quel blogueur, n'importe quel citoyen, est évidemment libre de photographier n'importe quel bien meuble ou immeuble situé sur la voie publique.

S'il existe une réglementation concernant le "droit à l'image" des personnes photographiées, et si la jurisprudence limite la liberté de reproduction des images de propriétés privées, la liberté de prise de vue des biens matériels n'est absolument pas limitée.

Mais ces policiers le savaient-ils ? Si les policiers méconnaissent la loi, on peut se demander s'ils peuvent garantir la liberté des blogueurs qui voudraient effectuer des prises de vue sur la voie publique.

On se souvient que Christophe Grébert s'était fait arrêter par la policie municipale de Puteaux après avoir photographié des rosiers en fleurs !
Les mœurs tourangelles sont heureusement plus civilisées que celles des Hauts-de-Seine !

Plutôt que de demander aux policiers de "faire du chiffre", il faudrait en tous cas mieux prendre en compte les difficultés de leur métier, améliorer leur formation et leur information, et leur rappeler que leur rôle, avant même de lutter contre la délinquance, est de garantir les libertés fondamentales.

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