Non à la certification des blogsAprès avoir dit ce que je pensais de l'interview dans laquelle Renaud Donnedieu de Vabres revient sur son projet de certification de l'information en ligne, il me faut répondre, comme m'y invite Christophe, de Montours.info, au fond du sujet.

a parfaitement raison lorsqu'il explique qu'il n'a jamais dit "qu'il ne fallait pas que puisse circuler sur internet les informations les plus libres". Raison également de dire qu'il n'a "jamais parler de censure".

En avril 2006, suite à un commentaire de Gilles Klein , j'avais d'ailleurs écrit :

"D'accord avec [Gilles Klein] pour rappeler, contrairement à ce qu'on a pu lire, qu'il n'est évidemment pas question pour RDDV d'interdire tel ou tel blog. Il n'est effectivement pas question de censure directe."

Mais, à mon avis, RDDV ne répond absolument pas aux interrogations qu'avait soulevées sa proposition.

Il indique tout d'abord que "le bout qui circule sur Dailymotion est tronqué par rapport à ce qu'[il] pense". N'ayant pas eu l'occasion de voir l'intégralité de cette interview, je prends acte de sa remarque. Mais est-ce que l'interview qu'il avait donnée dans Libération du 10 mars 2006, dans laquelle il tenait les mêmes propos, avait été tronquée elle aussi ?

Parlant des journalistes, Renaud Donnedieu de Vabres indique, dans l'interview accordée à MonTours.info, "il y a une déontologie que respecte un certain nombre de professions".
Il faut donc rappeler à celui qui, en qualité de Ministre de la Culture et de la Communication, avait en charge le secteur de la presse, qu'il n'existe aucun code de déontologie que les journalistes français s'engagent à respecter, ni aucune commission de déontologie pour le faire respecter.
C’est au journaliste, en lien éventuellement avec sa rédaction, qu’il revient de déterminer les limites de sa liberté d’expression et les principes éthiques et déontologiques qu'il entend respecter. Les blogueurs, capables eux aussi de déterminer en leur âme et conscience les limites de leur liberté d'expression et les régles déontologiques qu'ils s'appliquent, n'ont donc rien à envier, de ce point de vue là, aux journalistes.

Après les dérapages médiatiques de la guerre du Koweït, la Commission de la Carte d'Identité des Journalistes Professionnels, rappelait d'ailleurs elle-même "que, contrairement à une idée répandue, elle n’a pas de prérogative déontologique comme il en est d’un ordre (médecins, avocats…)".

Il n'existe qu'une seule exception, comme le rappelle Olivier Da Lage : la convention collective des journalistes de l’audiovisuel public, ainsi que celle des journalistes de TF1, précise en son article 5.1 que « les journalistes exerçant leur profession dans l’une des entreprises signataires tiennent pour règle de leur activité professionnelle la Charte des devoirs du journaliste publiée par le Syndicat national des journalistes en juillet 1918 et complétée le 15 janvier 1938 et figurant en annexe ».

Je ne comprends toujours pas pourquoi on voudrait exiger de l'information en ligne une déontologie qu'on n'exige pas de la presse écrite. Je ne comprends toujours pas pourquoi on supposerait, sans fondement, que les journalistes seraient plus soucieux de déontologie que les blogueurs.

Je ne vois pas non plus ce que pourrait apporter ce projet : la liberté d'expression sur les blogs est d'ores et déjà encadrée par les lois qui répriment par exemple les atteintes à la vie privée ou la diffamation. Une nouvelle législation n'est donc pas nécessaire.

Surtout, je vois dans l'idée d'une certification de l'information en ligne, un risque évident de dérive. Sur quels critères triera-t-on le bon grain de l'ivraie ? Quelle commission, quelle instance gouvernementale ou para-gouvernementale, sera chargée de délivrer ce visa de censure ? Quelles garanties auront les citoyens que ce tri ne s'effectue pas sur des critères idéologiques ? Ou, ce qui serait plus pernicieux mais plus probable, les médias en ligne ne risquent-ils pas de s'auto-censurer pour conserver leur label de média certifié ?

C'est parce que je n'ai trouvé nulle part de réponses à mes craintes et que je n'ai pas compris non plus quels étaient les avantages de ce projet, qu'il continue à m'inquiéter.

Peut-on penser que, Renaud Donnedieu de Vabres n'étant plus aux affaires, il n'est plus question de "certifier" les gentils et les méchants sites ?


Ce n'est malheureusement pas certain.

1 - Le projet de décret de Philippe Bas

En janvier 2007, Philippe Bas, alors ministre de la Famille, publie un projet de décret qui prévoit la création d'une "Commission nationale de déontologie des services de communication au public en ligne". Le 31 janvier, Philippe Bas avait même indiqué qu'il voulait mettre en place cette commission au printemps 2007, comme s'il y avait urgence à agir avant les élections présidentielles...

Le ministre avait présenté cette commission comme une instance chargée d'établir une classification des contenus en ligne par tranche d'âges pour signaler les contenus "tous publics" ou "déconseillés" aux moins de 12, 16, 18 ans. C'est évidemment un but dont l'intérêt n'est pas contestable.

Mais la lecture du projet de décret permet de découvrir que :

"La Commission a pour missions de formuler à l'intention des opérateurs déclarés (…) des recommandations tendant à assurer le respect des principes de déontologie, tels que la protection des mineurs ou le respect de la dignité de la personne humaine. Elle assure le suivi de ces recommandations". (art.1er du décret)
 
"Tels que" signifie bien que la liste des "principes de déontologie" sur lesquels veillerait la commission n'est pas limitée. Le projet n'a pas manqué de faire réagir Reporters Sans Frontières qui indiquait dans un communiqué :

"L’organe créé par ce décret n’est pas uniquement consultatif, puisqu’il aura la possibilité d’accorder et de retirer des labels de confiance aux services de communication en ligne, notamment aux hébergeurs de sites et de blogs, aux fournisseurs d’accès Internet et aux opérateurs de téléphonie mobile. Or, nous considérons que le périmètre d’action de cette commission, dont tous les membres sont nommés par le Premier ministre, n’est pas assez clairement défini. Nous craignons que ce texte ne pousse les prestataires de services à censurer abusivement leurs contenus pour préserver leur label."

2 - Le rapport de Marc Tessier

En quittant son ministère -et son beau bureau ! -, Renaud Donnedieu de Vabres a laissé dans les placards le rapport “La Presse au défi du numérique“ que Marc Tessier lui a remis le 19 février 2007. Un rapport, dénoncé par la ligue Odebi, qui préconise la création d'un label de certification de l'information en ligne que Marc Tessier justifie ainsi :

“Pour les pouvoirs publics, le label pourrait constituer un outil pour soutenir et promouvoir une information francophone de qualité sur Internet et s’assurer ainsi que le basculement de l’audience vers le numérique ne se traduit pas nécessairement par un appauvrissement des contenus et un foisonnement d’informations douteuses et non hiérarchisées.”
 
Certes.
Reste à savoir ce que le gouvernement qualifiera "d'informations douteuses" et sur quels critères on distinguera "l'information de qualité" de "l'information douteuse"... Tout le danger est là.
Au passage on a même le droit de se demander si l'information délivrée par la presse est toujours bien hiérarchisée...
Accessoirement, Marc Tessier propose un soutien financier pour les sites labellisés : "aide en fonds propres, TVA réduite, statut de correspondant en ligne". Des incitations financières qui pourraient conduire les médias en ligne à veiller, pour conserver ces aides, à ne pas déplaire à la commission chargée de distribuer les labels...

De à Marc Tessier en passant par Philippe Bas, la tentation de certifier, labelliser et, d'une certaine manière contrôler l'information en ligne, est une idée qui resurgit régulièrement. Restons vigilants !

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